Asli Çavusoglu, Pink as a Cabbage/Green as an Onion/Blue as an Orange
English version below
Comment les soulèvements sociaux de la dernière décennie en Turquie ont-ils transformé la façon dont nous réinventons les sites de résistance quotidienne ? Planter des graines peut-il constituer un acte politique ? Ces questions marquent le point de départ de Pink as a Cabbage / Green as an Onion / Blue as an Orange, première exposition personnelle de l’artiste Asli Çavuşoğlu en France (Istanbul, 1982) qui découle de sa résidence à KADIST Paris début 2020.
Suite aux manifestations de 2013 à Gezi Park (Istanbul), certaines personnes ont créé des jardins urbains sauvages afin de réaménager des terrains abandonnés, tandis que d’autres ont contribué à la sauvegarde des jardins historiques menacés par la rénovation urbaine. D’autres ont fondé des initiatives agricoles écologiques dans des zones rurales de la Turquie, élargissant le nombre de modèles existants pour défendre une agriculture durable, locale et coopérative. Cette exposition s’appuie sur plus d’une douzaine d’initiatives de ce genre, parfois récentes, parfois plus anciennes, qui proposent des formes de résistance fondées sur des affinités, des solidarités et des rêves collectifs. Elle présente une installation composée de textiles et de teintures naturels, comme une tentative de cartographier leurs histoires.
Çavuşoğlu emploie souvent la couleur comme dispositif narratif. Dans Red/Red (2015), elle retraçait l’histoire d’un pigment quasiment disparu, à base de cochenille d’Ararat séchée et broyée. Cette espèce d’insecte en voie d’extinction se rencontre aux environs de la frontière actuelle entre la Turquie et l’Arménie, fermée jusqu’à aujourd’hui en raison des conflits politiques et territoriaux entre les deux pays. Pour The Place of Stone (2018), elle a étudié l’histoire du lapis lazuli, introduisant par petites touches la façon dont cette pierre précieuse d’un bleu profond et céleste a été extraite des mines d’Afghanistan, d’où elle est importée depuis des siècles.
Pour Pink as a Cabbage / Green as an Onion / Blue as an Orange, l’artiste use d’une stratégie similaire, teignant des textiles naturels avec des fruits, des légumes et des plantes cultivés par les initiatives agricoles avec lesquelles elle a noué des relations. Cette fois, elle ne raconte pas l’histoire d’une couleur en particulier, mais utilise la couleur comme prisme de réflexion pour tisser des liens entre les différentes histoires et les modèles proposés par ces initiatives.
L’œuvre prend la forme d’une installation composée de dix-huit rouleaux de tissu de différentes tailles, aux textures, motifs et rythmes visuels variés, dont les couleurs sourdes évoquent celles de la terre — chaque rouleau correspondant à une initiative spécifique. L’installation privilégie une structure flexible qui s’adapte à ses deux lieux d’accueil à Paris et à Istanbul et l’accrochage évoque les échoppes d’un bazar, composant une assemblée temporaire de structures éphémères et mobiles.
La dernière partie du titre de l’exposition, clin d’œil au poème d’Éluard, suggère que l’imagination est indispensable à l’élaboration du futur. Alors que la pandémie actuelle rend d’autant plus visible la crise qui frappe la production et la distribution agricoles (avec des fermier·ère·s détruisant une année de récolte de légumes malgré la demande croissante en nourriture) l’œuvre de Çavuşoğlu vient aussi nous rappeler les failles des systèmes alimentaires industriels existants, hyper-mercantiles. L’exposition invite à considérer les initiatives agricoles artisanales comme des lieux de résistance quotidienne, mais aussi comme des systèmes de valeurs qu’il importe de placer au cœur des politiques du futur.
D’après le texte d’Özge Ersoy, rédigé pour la publication de l’exposition (traduction : Virginie Bobin)
How have the social uprisings in Turkey during the last decade shaped the way we reimagine sites of everyday resistance? Can planting seeds constitute a political act? These questions mark the starting point of Pink as a Cabbage / Green as an Onion / Blue as an Orange, Asli Çavusoglu (Istanbul, 1982)’s first solo exhibition in France which stems from her residency at KADIST in the beginning of 2020.
Following Gezi Park (Istanbul) protests in 2013, some people created urban guerilla gardens to reclaim neglected land, while others worked to preserve historical urban gardens facing the threat of urban redevelopment. Others established ecological farming initiatives in rural Turkey, advocating for sustainable and community-supported agriculture. This exhibition draws on more than a dozen of these initiatives, both new and old, which propose forms of resistance through kinship, solidarity, and collective dreams. It presents an installation with natural fabrics and dyes to introduce a mapping exercise about their stories.
Çavusoglu often uses color as a storytelling device. For Red/Red (2015), she followed the story of an almost extinct pigment made of dried and ground Ararat cochineal, an endangered insect species native to the geography around the border between present day Turkey and Armenia, which remains closed due to political and territorial disputes. For The Place of Stone (2018), she investigated the story of lapis lazuli and introduced fragments of how this deep, celestial blue gemstone has been extracted and exported from Afghan mines for centuries.
In Pink as a Cabbage / Green as an Onion / Blue as an Orange, Çavusoglu employs a similar artistic strategy as she dyes natural fabrics with fruits, vegetables, and plants cultivated by the farming initiatives she has been in touch with. Yet, rather than formulating the history of a particular color, here the artist thinks through color bringing together the various stories and models these farming initiatives have offered.
The work takes the form of an installation with eighteen fabric rolls of different sizes, textures, patterns, and rhythmic surfaces with muted, earthy colors—each corresponding to a unique initiative. The installation favors a flexible structure that adapts to its two host sites, Paris and Istanbul and the display evokes the setting of bazaar-like stalls, forming a temporary gathering with provisional and deployable structures.
A riff on a poem by Surrealist writer Paul Éluard, the last part of the exhibition title suggests that imagination is a critical part of future-building. In a time when the pandemic is making the unfolding crisis of agricultural production and distribution even more visible—with farmers destroying a year’s harvest of vegetables despite an increase in demand for food—, Çavusoglu’s work reminds us about the pathologies of the existing, industrial, and heavily marketized food systems. The exhibition positions small-scale farming initiatives not only as sites of everyday resistance, but also as value systems that will play a central role for future politics.
Adapted from Özge Ersoy’s essay for the exhibition’s publication.