English version below
Un quartier populaire à Paris, son marché, ses trafics, ses kebabs, les corps qui se croisent et parfois s’exhibent. L’argent circule aussi vite que les regards. Les vendeurs de cigarettes règnent sous le métro aérien de Barbès. Les hommes y sont des as de l’observation, rien ne leur échappe. Les Princes de la rue s’inscrivent dans les Boyzone, travail au long cours dans lequel Clarisse Hahn observe ces situations où le corps des hommes chorégraphie leurs rapports à l’espace public comme dans l’intimité.
Des corps, des regards : les films et les photographies de Clarisse Hahn consacrés aux communautés et aux rituels vont au-delà du consentement de l’Autre à être regardé. Ils montrent comment l’être social peut faire du regard que l’on porte sur lui un moyen d’expression : se donner à voir sans se faire avoir.
Artiste et non ethnographe, documentariste puisque le terme est le mieux adapté, Clarisse Hahn ignore toute attitude égotiste : elle disparaît au plus près des corps pour leur laisser la place d’exprimer leur force, leur fragilité et leur douleur – mais aussi leur histoire.
Mobilisant les images d’archives, Clarisse Hahn crée une désynchronisation qui témoigne de généalogies invisibles. Ces jeunes hommes sont les descendants de héros français recrutés au temps des colonies. Ironie ou ruse de l’Histoire, héros et antihéros ne font ici plus qu’un. Barbès, cour des miracles, abrite les anciens comme les exclus. Ceux-là portent à leur tour les stigmates d’une histoire qui peine à cicatriser. Les chairs sont meurtries tout comme les mémoires.
Nombre de cultures du monde abritent des Boyzone : dans la joie, l’incarcération, la dévotion, la manifestation, la survie ou le labeur, des hommes parlent le langage de leur anatomie. Un cortège d’attitudes souples et brutales défile dans la rue, Clarisse Hahn scrute des « hommes entre eux ». Son expérience de documentariste permet la construction d’une présence invisible. Le regard des hommes est ici pris pour objet, leur corps érotisé. Le male gaze s’est évaporé dans le froid des matins.
Il a neigé sur Barbès cet hiver, il neigeait aussi à Alger.
Michel Poivert
A working-class neighborhood in Paris, its market, trafficking, and kebabs, bodies intersecting, sometimes presenting. Money flows at the rate of glances. Cigarette vendors reign beneath the metro overpass at Barbès. They are champions of observation; nothing escapes their notice. The series Princes of the Streets is part of Hahn’s work-in-progress Boyzone, a project analyzing moments in which men’s bodies choreograph their relationship to public and private space.
Bodies and looks: Hahn’s film and photography on communities and rituals goes beyond the subject’s consenting to be viewed, showing how social beings make use of the gaze we turn towards them in order to express themselves: let yourself be seen without being had.
Hahn is not an ethnographer, she’s an artist; she’s a documentary filmmaker as it’s the best-suited term, but her attitude bears no egotism: keeping close to each body, she disappears, leaving the body space to express its force, fragility, pain, and history.
By including archival photos, Hahn creates a desynchronization that allows invisible genealogies to come forward. These young men are descendants of French heroes recruited during the colonial period. Whether irony or historical strategy, here, hero and antihero are one. Barbès, the Cour des Miracles, takes in both elderly and outsider, but the wounds of the marginalized are difficult to heal—memory scars just like flesh.
Many cultures of the world harbor Boyzones. Expressing joy, incarcerated, devoted, in protest, surviving, or toiling, these men speak the language of their anatomy. A litany of versatile and blunt attitudes parade the streets as Hahn analyzes “men among themselves.” Her experience with documentary helps her deploy this invisible presence. Men looking are being looked at, the male body eroticized.
The male gaze dissipates in the cold of the morning.
Snow fell on Barbès last winter. It also fell on Algiers.
Michel Poivert