Haig Aivazian: 1440 couchers de soleil par 24 heures
Depuis la Coupe du monde de 1998 et l’Euro 2016, les caméras (SD, HD puis 6K) et les algorithmes vertigineux utilisés par les clubs et la police, enregistrent et fabriquent des profils à l’intérieur et autour du Stade de France. Celui-ci bénéficie d’un régime juridique d’exception, il possède sa propre brigade de police (le service transversal d’agglomération des événements, S.T.A.D.E) ainsi que des salles de garde à vue. Il se situe dans la banlieue Nord-Est de Paris, là où la jeunesse des « quartiers sensibles » converge et est transformée, tour à tour en fan consommateur, en star internationale du football, en supporter agité et parfois même en terroriste.
Colin Dayan, chercheuse en droit, travaille sur « l’histoire légale de la dépossession, processus au cours duquel corps et esprits sont continuellement reconstruits ». Elle défend l’idée selon laquelle « à travers la loi, certaines personnes, différemment représentées, perdent ou gagnent leur statut et sont victimes de préjudices ou héritières de privilèges ». Dans cette exposition à KADIST, Haig Aivazian s’intéresse à l’histoire des logiques quantitatives, telles qu’elles s’appliquent dans le sport et la sécurité. La quantification, loin de répondre à de simples besoins, crée des sujets aux légalités variables. Depuis les prémisses du contrôle de l’éclairage public et des couvre-feux, à la géolocalisation des smartphones et aux logiciels de surveillance, Aivazian analyse ces différentes technologies et le type de sujets qu’elles engendrent aux yeux de la loi et du marché.
Aivazian déploie dans l’exposition une installation qui matérialise le passage de l’obscurité à la lumière dans l’espace public et les infrastructures sportives. L’œuvre est une réflexion sur la capacité à double tranchant des systèmes d’éclairage public à mettre en valeur, à révéler ou à dissimuler des sujets. L’ensemble est structuré comme un index, à partir d’éléments constitutifs du stade et de la rue (projecteurs, poteaux de réverbères, goudron) en dialogue avec des dessins inspirés des représentations graphiques générées par les logiciels de pronostics et de statistiques.
Haig Aivazian présente aussi et pour la première fois en France, son film Comme tu es grand Ô fils du désert ! (Première partie), réalisé entre 2009 et 2013, dans lequel se lie la figure du footballeur Zinedine Zidane (dont l’image fluctue aussi de celle de virtuose, à voyou, au « fils d’une pute terroriste »), à celle d’une jeunesse qui vit en zones urbaines sensibles ou ZUS. Le film revient sur l’affaire du coup de tête de Zidane sur Marco Materazzi en 2006 — à partir d’un montage d’archives de presse, de dessins réalisés à la main et d’infographies créées par l’artiste. Une tension électrique telle une charge émotive parcourt tout le film qui en parallèle du récit, rappelle aussi la course des deux jeunes garçons Zyed et Bouna électrocutés dans une enceinte EDF en 2005 alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Cet évènement est à l’origine des émeutes en France et de l’état d’urgence déclaré pendant deux mois.
La résidence et l’exposition à KADIST nourrissent l’écriture d’une suite du film Comme tu es grand Ô fils du désert ! Une recherche que Haig Aivazian mène à Paris à partir d’entretiens, de visites des lieux de pouvoir, et d’institutions sportives. Toutes ces sources alimentent le récit qui donnera lieu à une lecture-performée le 21 septembre. Celle-ci identifiera les détonateurs factuels ou symboliques parmi les formes modernes de dépossession, d’exploitation, de répression, qui resurgissent lorsque le trouble dont ils sont le symptôme ne peut plus être contenu.
Haig Aivazian
1440 sunsets per 24 hours
Between the World Cup in 1998 and the Euro Cup in 2016, cameras (SD, to HD to 6K) and dizzying corporate and policing algorithms, have produced and captured the slippages of profiles in and around the Stade de France. The stadium is a juridical state of exception, with its own state assigned police brigade (Transversal Service of Event Agglomerations, S.T.A.D.E), and full fledged on site prison. Here in the stadium, which is located in the north-eastern outskirts of Paris, “inner-city youth” converge to morph into at times consuming fans, at times global football stars, rowdy supporters or international terrorists.
Colin Dayan, who treats “the legal history of dispossession as a continuum along which bodies and spirits are remade,” claims that “it is through law that persons, variously figured, gain or lose definition, become victims of prejudice or inheritors of privilege.” In his exhibition at KADIST, Haig Aivazian is interested in a history of quantifiable logics as they are applied to sports and policing. Quantification, far from being applied according to stable à priori needs, creates subjects with variable legalities: from the proliferation of street lighting as a tool to curb crime, to the history of curfews, from GPS tracking sensors to surveillance software, Aivazian surveys these technologies and the kinds of subjects they sculpt in the hands of the law and capital.
In the exhibition space, Aivazian presents a sprawling installation, which seeks to enact various instances of the deployment of light and darkness within public space and sports, reflecting on the double-edged abilities of lighting systems to expose, highlight or dissimu-late subjects. The space is structured like a material index, posing limbs and skins from stadiums and public spaces —namely floodlights, electric poles and asphalt— alongside abstract drawings inspired by policing and sporting data visualization iconography.
Haig Aivazian presents the French premiere of his film How Great You Are O Son of the Desert! (part I), produced between 2009 and 2013, in which he links the figure of football star Zinedine Zidane (whose image also fluctuates between virtuoso, thug, and the “son of a terrorist whore”) to the collective figure of “inner city” youth from France’s Sensitive Urban Zones (Z.U.S). The film revisits and analyzes Zidane’s infamous headbutt to Marco Materazzi in 2006, by combining press archives, with drawings and infographics created by the artist. An electric and emotional tension runs through the film, as it also narrates the 2005 death of Zyed and Bouna: two young boys, electrocuted while trying to dodge police, and whose deaths triggered weeks of widespread rioting throughout France and the rest of Europe.
The residency and the exhibition in KADIST also contribute to the process of writing for part II of How Great You Are O Son of the Desert! Aivazian has been conducting interviews and visiting political and sporting institutions in Paris, as a part of his research for the film. This material will give room to a lecture performance on September 21.
It will unfold a series of factual and symbolic triggers, which resurface as irrepressible symptoms of modern to contemporary to future forms of dispossession, exploitation and repression.