Meiro Koizumi: Theory on the Desk
Kadist Art Foundation est heureuse d’annoncer Theory on the Desk, première exposition personnelle en France de l’artiste japonais Meiro Koizumi, en résidence à la fondation d’août à octobre 2014.
Extraits d’une lettre adressée à un légionnaire
Paris, le 6 août 2014
Cher Monsieur,
(…) Dans le cadre d’une résidence à la Fondation Kadist à Paris, je me suis intéressé aux parcours de Japonais engagés dans la Légion Etrangère.
Comme vous le savez peut-être, il y a eu récemment au Japon un grand débat politique sur la question du droit à l’autodéfense collective, si nous devons ou non nous donner un tel droit. La guerre froide est terminée depuis vingt-cinq ans et le Japon se doit enfin d’affronter la nouvelle réalité de la politique internationale post-guerre froide. Cette question a toujours été sous-jacente dans notre quotidien de manière inconsciente. Mais jusqu’à présent, les Japonais n’avaient pas ressenti l’urgence d’utiliser leur imagination pour confronter le Japon à la violence et à la pauvreté du monde. Le temps est venu pour nous de payer le prix de notre ignorance de ces vingt-cinq dernières années. C’est ainsi que j’interprète cette situation.
Contrairement à la plupart des Japonais ordinaires, vous vous êtes porté volontaire pour affronter la violence et la pauvreté du monde. Je suis très curieux de savoir ce qui vous a poussé à faire ce saut. Ces dernières années, je me suis beaucoup intéressé aux attaques menées par des kamikazes, dont j’ai interviewé quelques survivants. J’ai écouté pourquoi ils s’étaient portés volontaires il y a 70 ans. Leurs raisons sont si pures, et donc si tragiques. Je me demande souvent ce que j’aurais fait si j’avais eu 20 ans il y a 70 ans. Je n’ai pas encore de réponse claire.
Il peut paraître un peu simpliste de comparer un kamikaze à un soldat de la Légion Étrangère, mais j’imagine qu’il existe une ressemblance dans le courage et la force d’esprit qui poussent le corps vers le danger. J’aimerais beaucoup vous rencontrer et discuter des raisons qui vous ont poussées à rejoindre la Légion, quelle est votre vie de tous les jours, et quel est votre point de vue sur le Japon. Il s’agit d’une demande un peu informelle, mais accepteriez-vous de passer un peu de temps avec moi ? (…)
Sincèrement,
Meiro Koizumi
Traitant avec une égale importance l’histoire collective et son impact à l’échelle de la famille, du couple ou de l’individu, les œuvres de Meiro Koizumi reviennent sur des moments clés de l’histoire du Japon moderne afin d’en révéler la violence sourde et ses répercussions sur la société actuelle.
Rendre visible ce qui n’est pas montré, ce qui n’est pas dit, prendre à revers la tradition, questionner l’humiliation et la culpabilité résultant de la défaite du Japon lors du dernier conflit mondial, explorer la résurgence récente des mythes nationalistes, sont autant de tâches auxquelles s’attèle Meiro Koizumi à travers ses vidéos, mais aussi ses performances, dessins et collages. Dans une atmosphère volontairement mélodramatique, ses vidéos, par le biais d’un travail spécifique sur le texte, le jeu des acteurs mais aussi sur le montage, tentent de redonner voix à un passé irrésolu, entre mythologies personnelles et récit historique. Cet imaginaire s’inscrit également profondément dans le corps de ses personnages, que l’artiste a d’abord interprété seul puis qu’il a progressivement fait jouer par d’autres. Au montage, l’artiste n’hésite pas à couper, mixer, remonter les séquences afin d’offrir différents points de vue sur un même récit et d’incarner les multiples contradictions qui innervent l’histoire et l’«identité» japonaises, entre devoir de mémoire et droit à l’oubli.
L’exposition Theory on the Desk poursuit ces réflexions à travers un ensemble d’œuvres nouvelles, produites au cours de la résidence de l’artiste à la fondation. Travaillant sur l’expérience de la guerre, de la survie et de leurs représentations, l’artiste réalise actuellement une vidéo enregistrant le témoignage d’un rescapé de la seconde guerre mondiale, Monsieur Harada, ayant survécu à l’âge de huit ans au bombardement de la ville de Maebashi par l’armée américaine. Ce film, tourné aujourd’hui dans cette même ville, questionne comment raconter une telle expérience, entre trauma personnel, vacillement de la mémoire et nécessité de témoigner. Toujours en relation à la guerre, mais du côté cette fois de l’engagement individuel, la lettre qui ouvre ce communiqué renvoie à une autre recherche en cours pour laquelle l’artiste tente de rencontrer un Japonais engagé dans la Légion Etrangère afin de l’interroger sur les raisons de son choix et son quotidien.
En écho à ces deux projets, Meiro Koizumi a également réalisé dans le temps de sa résidence une pièce composée de fragments sculptés d’un corps d’enfant disposés sur une table comme des restes archéologiques, évoquant d’une autre manière ce rapport à la « mise en danger », à la perte et à la ruine.
Déformation de l’expression anglaise « armchair theory », le titre de l’exposition Theory on the Desk est une traduction littérale du japonais de cette même formule. Ou comment élaborer des théories confortablement assis à son bureau.
Oeuvre réalisée en collaboration avec Arts Maebashi.
Site de l’artiste : www.meirokoizumi.com
Kadist Art Foundation is pleased to announce Theory on the Desk, first solo exhibition in France of Japanese artist Meiro Koizumi, in residency at Kadist from August to October 2014.
Extracts from a letter to a legionnaire
Paris, August 6th, 2014
Dear Sir,
(…) Currently in residency at Kadist Art Foundation in Paris, I came up with the idea of meeting and interviewing a Japanese soldier engaged in the French Foreign Legion.
As you may be aware, we have been having big political discussions around the right to collective self-defense; whether we should allow this right to exist again or not. The Cold War was ended 25 years ago, and Japan is finally facing the new reality of post-Cold War international politics. This problem has always been lying at the bottom of our daily lives, unconsciously. However, people in Japan haven’t had enough sense of urgency to imagine and situate Japan within the violence and poverty of the world. Now it is time for us to pay the price of our ignorance over the last quarter of century. That’s how I interpret this situation.
But unlike most ordinary Japanese people, you volunteered to engage yourself into the violence and poverty of the world. I am very curious to know what pushed you to make this leap. Over the last years, I have been interested in Kamikaze attacks, and I have interviewed a few survivors. I listened to why they volunteered 70 years ago, and their motives and reasons were so pure, and therefore so tragic. I often wonder what I would have done 70 years ago if I were around 20 years old. I don’t have clear answer yet.
It may be slightly simplistic to compare the Kamikaze with the Foreign Legion, but I imagine there is some similarity in the strength and bravery of one’s mind to push your body towards danger. It would mean a lot to me to meet you and to ask you why you joined the Foreign Legion, what kind of daily life you have, and how you see Japan from your perspective. I don’t want to make it too formal, but I hope you will agree to offer me some of your time.
Sincerely yours,
Meiro Koizumi
Giving equal importance to the collective history and to its impact on families, couples and individuals, Meiro Koizumi’s works focus on key moments of Japanese modern history, revealing its underlying violence and its impact on current society. Rendering visible what is not shown, what is not said, reversing tradition, questioning the humiliation and the guilt arising from Japan’s defeat in the Second World War, scrutinizing commonly shared repressed desires and degraded humanity, as well as exploring the recent resurgence of nationalist myths, are but a few tasks that Meiro Koizumi dedicates himself to in his video works, but also in his performances, drawings and collages. In a deliberately melodramatic atmosphere, and by means of specific work on the text, the acting as well as on the editing, his videos try to give back voices to an unresolved past, between personal mythologies and historical narratives. This imaginary is also deeply inscribed into the bodies of his protagonists, whom the artist often embodied himself to begin with, before gradually having them played by others. During the editing process, the artist does not hesitate to cut and mix sequences in order to highlight different points of view on a same story and to embody the multiple contradictions which inform both Japanese history and contemporary identity, between duty of memory and right to forget.
Continuing with these notions, the exhibition Theory on the Desk presents a group of new works, produced during the artist’s residency at the Foundation. Dealing with the experience and the representations of war and survival, the artist is currently working on a video recording the story of a survivor of World War II, Mr Harada, who lived through an American bombing of the city of Maebashi when he was eight years old. The film questions the ways to narrate such an experience, between personal trauma and the necessity to deliver a testimony.
Still in relation to war, yet seen from the side of an individual’s commitment, the letter opening this press release refers to another part of the project, the artist’s attempt to meet a Japanese citizen enrolled in the French Foreign Legion, in order to enquire about the reasons of his decision and his daily experience. In dialogue with these works, Meiro Koizumi also dedicated his residency to a new sculptural piece, made of fragments of a child’s body, exposed on a table like archeological findings, as another way to evoke this relation to the exposition to danger, the loss and the destruction.
The title of the exhibition Theory on the Desk is inspired by the Japanese translation of “armchair theory”, an English expression suggesting a theoretical approach to issues rather than a practical one.
This video piece has been made in collaboration with Arts Maebashi.
Artist’s website : www.meirokoizumi.com